Saïd
Aouita n'est peut-être pas le premier athlète africain à avoir brillé
en fond et demi-fond mais il est certainement celui qui avait, de tous,
la palette de possibilités la plus importante. Il est absolument le seul
athlète, dans la seconde moitié du 20ème siècle athlétique, à avoir été
capable de briller du 800 m au 10 000 m. Son universalité pédestre
reste aussi mystérieuse que le génie pianistique de Franz Liszt ou la
précision de tir de Calamity Jane…Et pourtant, rien n'était gagné d'avance pour le marocain.
Comme
tous les gamins de son âge, Saïd Aouita, né le 02/11/59, commencera par
taquiner du ballon de football ; son idole d'alors se prénommait Franz
Beckenbauer, capitaine du onze teuton champion du monde en 1974. C'est
sur un test de Cooper de début de saison que furent remarquées ses
aptitudes hors normes : le jeune Saïd, sans aucun entraînement
spécifique en course à pied, explosera purement et simplement le record
cadet du Maroc de la discipline ! On lui conseillera alors fortement de
troquer ses crampons pour une paire de pointes.
Dès
1979, une bourse de l'état marocain lui permet de prendre la direction
de la France afin de suivre un entraînement plus cartésien. Et c'est
sous les couleurs du club de Marignane qu'il signera ses premiers
exploits. Ce sera d'abord, en 1981, une victoire, dans le bois de
Boulogne parisien, sur le fameux cross du Figaro où, contrairement à ce
que mirent en avant les sceptiques et les mauvaises langues, ses
adversaires n'étaient pas uniquement que des brésiliennes !
Dès
1983 et la première édition des championnats du Monde d'athlétisme à
Helsinki, il s'octroie son premier grand podium international avec une
troisième place sur 1 500 m.
Fou
de rage et blessé dans son immense orgueil, Saïd Aouita n'attendra pas
un mois pour s'approprier ce record tant convoité avec le meeting de
Berlin et un phénoménal 3'29"46. Toujours
insatisfait et voulant marquer son sport définitivement, le marocain
jette son dévolu sur le 5 000 m : il sera le premier homme à passer sous
les 13' sur la distance ou ses nom et prénom passeront aux oubliettes.
Vaincre ou mourir ! Et il est à une longueur de lacet de réussir son
coup avec un 13'00"40, toujours durant l'été 1985.
Pour
la forme, il est chronométré en 27'27" pour son unique sortie sur 10
000 m. On n'ose imaginer les temps qui auraient pu être approchés sur
marathon si Aouita avait voulu se tester sur 42,195 km.
L'homme
est alors au sommet de son art. Et il choisit de tenter l'impossible
aux JO de Séoul (1988) en s'inscrivant sur 3 épreuves (800/1 500/5 000
avec les finales de ces 2 dernières courses programmées le même jour ! )
sur lesquelles il convoite de récolter 3 médailles d'or. Du jamais vu !
Mais le marocain a été, pour une fois, trop présomptueux. Au final,
blessé avec la répétition des efforts, il devra se contenter du bronze
sur 800 m et renoncer aux 1 500 m et 5 000 m après les séries des
premiers tours qualificatifs.
Malgré
la course de trop et un retour loupé et abrégé en 1991 (11ème aux
Mondiaux de Tokyo sur 1 500 m), la légende du Caïd n'est pas prête de
disparaître. Même avec 61 ans au compteur.
Saïd Aouita, saison 1985